Marcher, xing 行, c’est un geste primordial d’être humain, et de créer le monde. Yu le Grand, fondateur de la première dynastie chinoise, n’a-t-il pas fait mesurer la terre par un bon marcheur après l’apaisement des hautes eaux originelles ? Mesurer ? Pas seulement. Marcher, c’est aussi faire corps avec le monde. Lorsqu’on marche, le corps entre dans un mouvement plein mais surtout naturellement rythmé. C’est dans ce dynamisme cosmique que le corps déclenche toute son inspiration, et que le monde nous ouvre ses plis le long de la marche. Marcher, c’est encore se dépayser, chaque pas de dépaysement engendrera la pensée topographique. C’est ce qu’a déclaré Nietzsche, « seules les pensées qu’on a en marchant valent quelque chose[1] ».
Combien de chefs-d’oeuvre dans l’histoire de l’art, que ce soit la poésie, la peinture ou la calligraphie, ont germés et même se sont réalisés pendant qu’on marchait, qu’on longeait, qu’on voyageait ! Wang Xizhi n’a pas moins erré dans le nord de Chine en admirant les stèles avant de révolutionner son art de l’écriture. Son style calligraphique le plus connu, le style courant xingshu 行書, ne signifie-t-il pas l’ « écriture qui marche »? En s’exclamant « “Yi-hiu-hou” ! oh, que de dangers ! ah, quelle hauteur ! Plus dure est la route de Chou que la montée jusqu’au ciel azuré ![2] » le poète Li Bai n’avait-il pas grimpé les sentiers impossibles dans le pays montagneux du Sichuan? Les Voyageurs au milieu des Montagnes et des Ruisseaux, n’étaient-ils pas des marcheurs éphémères dans le monde contemplé de Fan Kuan, lui-même, comme Cézanne, entrait chaque jour dans le paysage ?
L’apprentissage de l’art est un long voyage, mais comme disait Laozi, « un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas. » Cette exposition autour du thème « marcher » regroupe des travaux en calligraphie, en peinture mais aussi en d’autres médiums, essentiellement des élèves à l’Institut Confucius à l’Université Paris Diderot. Chaque oeuvre est un point de départ, elles nous proposent différents itinéraires de ce monde infini de l’art. (Hu Jiaxing)
[1] Nietzsche, Crépuscule des idoles. Pensée 34.
[2] Texte en chinois: 噫吁嚱!危乎高哉!蜀道之難,難於上青天!Traduction de M. Tchang Fou-jouei, dans Paul Demiéville, Anthologie de la poésie chinoise classique, Paris: Gallimard-UNESCO, coll. Connaissance de l’Orient, 1982. p. 223-225.
Informations pratiques
Date: 13-29 juin 2019
Vernissage: 15 juin 2019 à 14h
Adresse: Hall du Bâtiment Grands Moulins, 5 rue Thomas Mann, 75013, Paris, France